La vulnérabilité du filet de sécurité sociale aux États-Unis
Une tendance mise en lumière par la Covid-19
Par rapport à de nombreuses autres économies prospères, les États-Unis se caractérisent par leur filet de sécurité sociale relativement peu développé. La crise du coronavirus et ses effets désastreux sur le marché du travail américain ont menacé de mettre à nu les vulnérabilités de ce système minimal.
Heureusement, depuis l'éclatement de la pandémie, les autorités américaines sont intervenues en prenant des mesures d'aide sans précédent, notamment en augmentant les allocations de chômage et en accordant une aide financière directe aux personnes dont le revenu est inférieur à un certain seuil. Bien que leur impact précis sur l'économie doive encore être analysé en détail dans les années à venir, les mesures de relance destinées à aider les individus et les ménages ont sans doute évité à beaucoup d'Américains de tomber l'an dernier dans la pauvreté (ou de s'y enfoncer davantage).
Compte tenu du niveau relativement élevé des inégalités de revenus et de la pauvreté par rapport aux autres économies développées, les États-Unis devraient tirer les leçons de ces mesures pour mettre en place un filet de sécurité sociale plus développé (et plus performant). Au-delà de la pandémie, une amélioration permanente de la politique sociale permettra de combattre la pauvreté et les inégalités à l'intérieur des frontières américaines.
De maigres dépenses sociales et une grande pauvreté
Le filet de sécurité sociale américain est connu pour sa structure minimale par rapport aux autres économies développées. Les chiffres de l'OCDE sur les dépenses sociales l'illustrent: les États-Unis consacrent 0,14% de leur PIB aux allocations de chômage, contre 0,59% pour l'ensemble de l'OCDE (la Belgique se situe dans le haut du classement des pays avec 1,82% du PIB).
Les dépenses consacrées aux prestations familiales sont également très limitées aux États-Unis (0,6% du PIB) par rapport à l'OCDE (2,1% du PIB). En outre, en 2019, plus de 55% des Américains étaient couverts par une assurance maladie fournie par leur employeur (source: Bureau du recensement des États-Unis ou US Census Bureau). Cela révèle une vulnérabilité supplémentaire s'ajoutant à la perte de revenus pour les personnes se retrouvant au chômage.
Un filet de sécurité sociale plus fragile explique en partie la pauvreté et les inégalités de revenus relativement élevées aux États-Unis par rapport aux autres économies développées. Parmi les pays de l'OCDE, les États-Unis affichaient le deuxième taux de pauvreté le plus élevé en 2017, soit 17,8% (le Bureau du recensement des États-Unis indiquait un taux beaucoup plus faible de 10,5% en 2019).
La différence est peut-être liée à la définition du seuil de pauvreté: l'OCDE utilise la moitié du revenu médian des ménages, afin que les taux de pauvreté soient comparables entre les pays, tandis que les seuils de pauvreté du Bureau du recensement des États-Unis varient en fonction de la taille et de la composition du ménage.
Les inégalités de revenus (telles que mesurées par l'indice de Gini de la Banque mondiale) sont également beaucoup plus élevées aux États-Unis que dans les autres économies développées et elles ont considérablement augmenté depuis le milieu des années 1970.
Une réaction énergique des autorités
Compte tenu de la structure du marché du travail américain, des soins de santé et de la politique sociale en général, la crise du coronavirus risquait d'aggraver la pauvreté aux États-Unis. Cependant, une nouvelle série mensuelle du Bureau du recensement des États-Unis montre que le taux de pauvreté n'a augmenté que de 1% entre janvier 2020 et décembre 2020.
Il est important de noter que le chiffre pour les Noirs américains a cependant augmenté de 5,4% au cours de cette période. Cela montre que la pandémie a exacerbé les inégalités raciales déjà existantes en matière de richesse et de revenus aux États-Unis.
L'évolution de la pauvreté en 2020 frappe cependant particulièrement: le pourcentage de personnes tombées sous le seuil de pauvreté a diminué en avril et en mai dans l'ensemble de l'échantillon, mais aussi chez les Noirs américains et les Américains sans diplôme universitaire.
La pauvreté a diminué malgré une forte hausse du taux de chômage, qui est passé de 4,4% en mars à 14,8% en avril 2020, son recul étant attribuable à l'adoption de la loi CARES en mars 2020.
Cette amélioration a en effet coïncidé avec le versement par le gouvernement de chèques de relance d'un montant maximal de 1 200 USD pour les personnes dont le revenu est inférieur à un certain seuil et de 500 USD supplémentaires pour les enfants éligibles.
La loi CARES a également augmenté les allocations de chômage de 600 USD par semaine, en plus des allocations de chômage régulières de l'État. Les transferts publics ont doublé, augmentant les revenus disponibles de 15% entre mars et avril. Dans le même temps, les dépenses de consommation ont commencé à se redresser, après avoir piqué du nez entre début 2020 et avril 2020.
Moins de pauvreté, plus de consommation
Les enquêtes auprès des consommateurs montrent - et ce n'est pas un hasard - que le rythme des dépenses s'est d'abord accéléré chez les ménages à revenus faibles et moyens. La croissance des dépenses des ménages dont le revenu est supérieur à 100 000 USD n'a pas commencé à se redresser avant août 2020. Ceci révèle donc que les chèques directs ciblés et l'augmentation des allocations de chômage ont non seulement contribué à réduire la pauvreté, mais ont aussi stimulé la consommation.
En revanche, étant donné que l'allocation de chômage supplémentaire de 600 USD a expiré en juillet et que les chèques de relance n'étaient alors qu'un paiement unique, les dépenses des personnes dont le revenu est inférieur à 50 000 USD ont à nouveau chuté entre août et décembre 2020. Dans le même temps, le taux de pauvreté est reparti à la hausse au milieu de l'été.
Le gouvernement a approuvé en décembre 2020 un plan de relance supplémentaire de 900 milliards USD et un autre plan pouvant atteindre 1,9 trillion USD est en préparation. Les mesures supplémentaires, qui devraient inclure de nouveaux paiements directs aux particuliers, une prolongation de l'augmentation des allocations de chômage et une extension du crédit d'impôt pour enfants, sont importantes pour aider les ménages qui souffrent encore de la pandémie.
Toutefois, une extension plus durable du filet de sécurité sociale, si elle est correctement structurée, pourrait contribuer à atténuer la pauvreté de manière structurelle, à réduire les inégalités et à stimuler les dépenses des ménages à faibles revenus. Cela nécessiterait bien entendu des ajustements dans d'autres postes du budget, soit par une réduction des dépenses, soit par une majoration d'impôts.
D'une manière générale, le gouvernement américain devrait regarder au-delà de l'horizon de la crise actuelle et tirer les leçons de la réussite de ses mesures temporaires.
