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L'Europe sur le fil du rasoir

Mario Draghi a rédigé l'an dernier un imposant rapport sur les problèmes structurels de l'économie européenne. Ces problèmes sont non seulement géoéconomiques, mais plus que jamais, ils sont aussi géopolitiques et même géostratégiques. Le monde tel que nous le connaissons est en pleine mutation, régi par des forces qui cherchent à en redessiner définitivement notre vision. Selon le professeur David Criekemans, l'heure est donc à l'hyperréalisme dans une perspective géopolitique.

Il y a quelque temps, nous avons invité le professeur de politique internationale David Criekemans (UAntwerpen) à donner une conférence, avec comme point de départ son nouveau livre sur l'état de notre monde et surtout la position de l'Europe dans celui-ci.

Quiconque étudie la géopolitique aujourd'hui ne peut que constater d'évidents parallèles avec la fin du XIXe siècle: changements démographiques, révolutions technologiques et redistribution des sphères d'influence. Selon le professeur Criekemans, nous sommes à nouveau à l'aube d'une ère où les superpuissances se défient et où l'Europe risque d'être prise en sandwich entre les États-Unis et la Chine.

"Il s'agit d'une crise de la mesure du pouvoir", affirme David Criekemans. Les superpuissances traditionnelles, mais aussi les acteurs émergents, ne sont pas les seuls à s'inquiéter de leur position dans le monde de demain. Cette incertitude est particulièrement perceptible en Europe. L'Europe qui, après un âge d'or, se voit confrontée à des défis fondamentaux. Une nouvelle stratégie s'impose donc. David Criekemans souligne d'emblée la responsabilité que nous avons collectivement dans ce domaine: les universitaires, les décideurs politiques, mais aussi le secteur bancaire et les entreprises, nous qui naviguons tous à travers ces changements géopolitiques et géoéconomiques complexes et qui devons faire des choix réfléchis.

L'Europe à la croisée des chemins: concurrence et stratégie

L'Europe est confrontée à des faiblesses structurelles et le rapport Draghi (Mario Draghi, ancien président de la BCE et ancien Premier ministre italien, banquier et universitaire) met en garde contre la surréglementation et le sous-investissement. Le président français résume le rapport en ces mots: "Si nous continuons ainsi, nous nous exclurons du marché et nous ébranlerons même notre souveraineté". Les relations commerciales asymétriques avec les États-Unis illustrent cette faiblesse: l'Amérique prospère, l'Europe est à la traîne. Nous avons donc un problème de compétitivité.

Notre deuxième problème est géostratégique, car l'invasion de l'Ukraine est plus qu'un simple conflit territorial, selon David Criekemans. Il résulte d'une crise d'identité qui frappe la Russie depuis des décennies. Après l'effondrement de l'Union soviétique et l'échec des réformes à l'occidentale, la Russie veut changer le système mondial et redessiner la carte du monde, littéralement.

De son côté, la Chine investit massivement dans la technologie pour compenser ses propres défis démographiques (baisse rapide du taux de natalité). Les deux pays cherchent des moyens de renforcer leur position dans ce monde en pleine mutation.

Dans son analyse, le professeur Criekemans identifie quatre fondements/piliers sur lesquels la prospérité et la sécurité de l'Europe ont été bâties au cours des dernières décennies et qui sont aujourd'hui sous pression.

1. Énergie: de l'avantage au talon d'Achille

L'énergie bon marché a longtemps été un pilier de la prospérité européenne. La dépendance au gaz et au pétrole russes est devenue problématique avec la guerre et les sanctions. L'énergie est aujourd'hui trois à quatre fois plus chère en Europe qu'aux États-Unis et les nouvelles réglementations vont encore creuser l'écart. Cela a des conséquences directes sur la compétitivité des entreprises européennes, en particulier dans les secteurs à forte intensité énergétique comme la chimie. Le constat est assez inquiétant pour le port d'Anvers, qui abrite l'un des plus grands pôles chimiques au monde.

2. Marchés asiatiques: le jeu du transfert technologique

Le modèle de main-d'œuvre bon marché et de transfert technologique avec la Chine est sous pression. Alors que l'Europe bénéficiait autrefois du marché chinois, la Chine nous inonde aujourd'hui de ses produits, tels que les voitures électriques et les panneaux solaires. L'Europe devrait donc revoir sa politique et oser exiger des entreprises étrangères qu'elles partagent leur technologie, comme l'a fait la Chine pendant des années.
Mais les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine s'intensifient également. Si les Chinois restreignent les exportations de matières premières, l'Europe risque de devoir prendre parti, avec toutes les conséquences que cela implique.

3. Paix et sécurité: la nouvelle réalité

L'absence de guerre en Europe a longtemps été considérée comme une évidence. Cela aussi est de l'histoire ancienne et nous sommes aujourd'hui confrontés à une crise systémique. La Russie pourrait bien arriver à la conclusion qu'un conflit limité en Europe est non seulement possible, mais qu'en fin de compte, il produira aussi des résultats. Vladimir Poutine rêve en effet d'un retour à la situation géostratégique de la mi-1992, au temps de la neutralité des pays d'Europe centrale, même si ceux-ci ont depuis lors rejoint l'OTAN.

Ce nouveau contexte va modifier notre tissu économique, selon David Criekemans: des investissements sont en effet nécessaires, non seulement dans le secteur de la sécurité et de la défense, mais aussi et surtout dans celui de la résilience. Protéger les réseaux énergétiques, les infrastructures et la société de nouvelles menaces telles que les cyberattaques et les conflits hybrides. Il est urgent de renverser le paradigme connu, car il n'y aura pas de retour en arrière. Cette crise offre en revanche aussi des opportunités.

4. La garantie de sécurité des États-Unis: un bouclier qui s'effrite

La garantie de sécurité des États-Unis, qui était autrefois une certitude, ne l'est plus. Les États-Unis ayant d'autres priorités, l'Europe est contrainte de revoir ses propres capacités de défense et sa structure économique. "Dans la politique mondiale, vous n'êtes pris au sérieux que si vous avez quelque chose à offrir", affirme David Criekemans. L'Europe doit investir dans la technologie, l'innovation et la défense pour retrouver sa pertinence.

L'hyperréalisme comme boussole, la diversification comme stratégie

L'Europe doit élargir son horizon et nouer de nouvelles relations avec des pays tels que l'Inde, le Viêt Nam, la Thaïlande, l'Indonésie et l'Amérique latine. L'Afrique offre également d'immenses possibilités, compte tenu de sa croissance démographique. "C'est le moment, et je le dis dans le bon sens du terme, de retourner en Afrique. La Chine investit dans l'élite et rapatrie ses propres travailleurs; la Russie opte pour un modèle paramilitaire, mais elle pille en réalité les pays du Sahel. Nous pouvons proposer une alternative, mais il s'agit d'un investissement à long terme. Or, c'est précisément là que nous faisons des économies. L'Europe doit devenir le pays le mieux connecté au monde."

Plutôt que d'opter pour le protectionnisme, comme les États-Unis, l'Europe devrait plutôt se concentrer sur l'ouverture et l'attraction des talents. "Peut-être avons-nous besoin d'un programme pour attirer les talents expatriés. Faire venir les talents américains en Europe, par exemple", suggère David Criekemans.

Il existe un certain nombre de variables cruciales pour rendre à l'Europe sa pertinence.

En matière d'énergie, les États-Unis optent pour une stratégie globale, en investissant tous azimuts. La deuxième variable est la dérégulation et la troisième, les centres de données, qui sont aussi liés à l'énergie. À l'instar de la Chine, ils pensent pouvoir révolutionner d'autres domaines grâce à une énorme capacité de données. Des nouveaux matériaux (et de leurs brevets) à la mitigation du changement climatique, en passant par la transition énergétique, etc.

La Chine reste pertinente, mais nous devons changer nos règles pour traiter intelligemment avec elle. Par exemple, par le biais d'un transfert technologique. Les puissances intermédiaires telles que l'Inde, le Brésil et surtout l'Afrique sont cependant encore plus importantes pour l'Europe.

Il y a un changement de paradigme clair vers un monde réaliste plus compétitif, avec la "sécurité" en tant que nouvelle variable. Dans les années à venir, nous entendrons plus souvent parler du concept d'autonomie stratégique. "L'Europe connaît une "crise de l'imagination": nous pensions que le monde des 30 dernières années serait éternel, alors qu'en profondeur, des facteurs géopolitiques tels que la démographie, l'économie, la technologie, etc. étaient déjà en train de changer. Je prône donc l'hyperréalisme. La porte de Brandebourg qui figure sur la couverture de mon livre n'a pas été choisie par hasard: elle fait référence non pas à la guerre froide, mais à l'Allemagne, car lorsque l'Allemagne change, l'Europe change."

La déclaration du chancelier Friederich Merz, le soir de sa victoire électorale, était lourde de sens: "Meine Damen und Herren, je crois que les États-Unis, du moins cette administration, ne s'intéressent plus au sort de l'Europe, et je crois que la crise provoquée par les Russes en Ukraine ne laisse aux Européens qu'une fenêtre de temps limitée pour s'organiser." L'hyperréalisme a également gagné l'Allemagne, déclare David Criekemans.

Investir dans l'innovation et la résilience

Chaque crise recèle aussi des opportunités. L'Europe doit adapter ses stratégies, investir dans l'innovation et la résilience, et ainsi rétablir sa position sur l'échiquier politique mondial. L'avenir réside dans l'exploitation de son propre potentiel, l'établissement de nouveaux partenariats et les investissements dans la technologie et la défense.

"Nous avons le potentiel, mais nous devons changer nos stratégies et mobiliser des capitaux pour l'innovation. La résilience et la défense deviennent les nouvelles opportunités de croissance du futur. Espérons que nous pourrons ainsi repositionner l'Europe dans un monde en pleine mutation."

‘Hyperrealisme. Europa in een nieuw geopolitiek tijdperk’ - professor David Criekemans - Uitgeverij Acco.

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