Biologie et technologie s’entrecroisent de plus en plus

Basé à Louvain, l’imec est un leader mondial dans la recherche sur la technologie des puces et les nanotechnologies. Mais saviez-vous que le centre de recherche dispose également d’un important pôle ‘santé’?

La technologie des puces est appelée à jouer un rôle croissant dans notre santé à l’avenir.

Elke Giets, docteur en sciences agronomes, orientation bio-ingénierie (KU Leuven)

Elke Giets est titulaire d’un doctorat en sciences agronomes, orientation bio-ingénierie (KU Leuven). Elke travaille pour l’imec, à la croisée de la technologie et de la santé.

‘Ce qui nous anime Peter Peumans, notre Chief Technology Officer Health, et moi-même, c’est une grande curiosité et un mode de pensée systémique et orienté vers les solutions. Nous voulons connaître les points de blocage de la science et des entreprises, examiner si la technologie peut contribuer à l’apport d’une solution et, le cas échéant, en quoi elle peut apporter sa pierre à l’édifice. Il est très tentant de prendre la technologie pour point de départ et de voir ensuite comment l’exploiter. Mais à l’imec, nous nous efforçons de plus en plus volontairement de prendre du recul et de nous pencher sur les besoins des scientifiques, de la société et de l’industrie. Une adéquation avec la technologie de l’imec est indispensable, bien évidemment: la technologie doit avoir un effet disruptif.’

Qu’entendez-vous par ‘mode de pensée systémique’?

‘Pour résoudre des problèmes complexes, il faut réunir différentes expertises – celle de l’imec, mais aussi celle de médecins ou de scientifiques dans d’autres domaines de recherche. Nous ne sommes pas des experts en pathologies; nous sommes des techniciens. La contribution des hôpitaux, des médecins et des scientifiques est essentielle pour parvenir à une solution systémique optimale. Par exemple, nous collaborons à des essais cliniques menés avec des médecins et des hôpitaux pour permettre la réalisation de tests à un stade très précoce. Et nous tirons parti de la connaissance approfondie d’autres scientifiques, tels que les neuroscientifiques, pour bien comprendre l’application. Généralement, le langage des scientifiques est très différent de celui des technologues. Mon rôle à l’imec est de cerner le problème en m’aidant d’apports externes, puis de réunir les personnes ad hoc issues de différentes disciplines afin d’élaborer la solution à un problème ayant trait à la santé.’

Le cœur de métier de l’imec est la recherche et le développement dans un but d’amélioration des micropuces. Quel est le point de convergence avec la santé?

‘Pour le grand public, ‘technologie des puces’ rime d’emblée avec ‘ordinateurs’ ou ‘voitures’.’ Les autres applications sont beaucoup moins connues. Par exemple, l’entrelacement entre la sphère de la biologie et la sphère de la technologie ne cesse de s’intensifier. Les nouvelles générations de thérapies telles que les vaccins à ARN messager et la thérapie par cellules CAR-T en sont une excellente illustration. L’imec dispose de la technologie pour travailler jusqu’au niveau d’une seule cellule et pour identifier, sélectionner et manipuler des types de cellules bien définis. Lorsqu’il s’agit de traiter un cancer par exemple, la thérapie cellulaire consiste en un traitement d’immunothérapie avec les globules blancs du patient lui-même: on isole et on manipule ses globules blancs afin d’induire une réaction antitumorale sélective. Par ailleurs, nous fabriquons des puces sur lesquelles nous pouvons reproduire la biologie d’organes. C’est ce qu’on appelle un ‘organe sur puce’ – une technologie aux perspectives révolutionnaires. Les maladies du cerveau étant très difficiles à étudier chez les patients par exemple, nous avons la possibilité d’implanter du matériel biologique sur une puce et d’y répliquer les réseaux neuronaux du cerveau. Nous travaillons aussi sur une autre technologie qui devrait permettre de ‘visualiser’ le cerveau de manière non invasive et à haute résolution afin de mieux comprendre son fonctionnement. La science sur les maladies neurodégénératives ou d’autres pathologies pourrait progresser de façon considérable.’

Le cerveau peut-il être répliqué?

‘Nous procédons comme suit: nous créons, sur une puce, un réseau qui comprend plusieurs types de cellules impliquées dans une maladie particulière du cerveau. Puis, nous observons le comportement de ces cellules. Dans le cas des neurones, nous pouvons mesurer ce comportement de façon électrique. Il s’agit de certains réseaux susceptibles de constituer un modèle. Nous sommes encore loin du stade de répliquer l’entièreté du cerveau sur une puce. En revanche, on parle déjà de modèles multi-organes sur puce pour mieux comprendre les interactions entre différents organes. La viabilité, la pertinence et la représentativité de ces recherches ne sont pas claires à ce stade.’

Par le fait d’utiliser les cellules d’un patient pour la recherche, la technologie ouvre-t-elle également la voie à une médecine plus personnalisée, adaptée au patient?

‘Oui, la reproduction de la biologie sur une puce pourrait être spécifique au patient. Par exemple, lorsqu’on sait qu’un médicament a de nombreux effets secondaires sur les poumons, le fait de disposer du modèle de poumon personnel d’un patient sur une puce permet d’anticiper les effets secondaires chez ce patient en particulier. Dans le cas de l’épilepsie, on pourrait imaginer un modèle qui permettrait de vérifier lequel parmi les nombreux médicaments est efficace pour chaque patient. Actuellement, on procède souvent par essais et erreurs, ce qui peut être long. À terme, on pourrait même construire un modèle virtuel du corps et le relier à des données contextuelles telles que les habitudes en matière d’activité physique ou de sommeil. Un ‘jumeau numérique’ de ce type pourrait fournir aux gens des informations sur leur santé, leur alimentation et leur mode de vie ou aider les professionnels de la santé à formuler des conseils personnalisés au patient.’

L’année dernière, l’imec a développé un test respiratoire pour détecter le Covid. Comment cela fonctionne-t-il?

‘L’air expiré contient des gouttelettes, des aérosols. Notre technologie des puces nous permet de les capturer très facilement et de les implanter sur une puce de deux centimètres carrés. Ensuite, nous procédons à un test PCR pour détecter la présence de matériel génétique du virus dans les aérosols et en évaluer la quantité. Il faut moins de 18 minutes pour générer le résultat par lecture optique. De plus, il est beaucoup plus facile et agréable de prélever un échantillon d’haleine que d’effectuer un prélèvement nasal, sanguin ou salivaire. Actuellement, nous étudions la possibilité d’utiliser l’analyse moléculaire d’un échantillon d’haleine pour dépister d’autres affections virales, bactériennes ou inflammatoires des voies respiratoires ou peut-être même le cancer du poumon.’

Développer une technologie qui permet de mieux comprendre le fonctionnement du corps ou de détecter des maladies est une chose. L’imec intervient-il également dans la recherche de remèdes et de médicaments?

‘L’imec est un centre de recherche, pas une entreprise pharmaceutique ou biotechnologique. Toutefois, la collaboration entre le partenaire technologique et l’expert en biologie ou la firme pharmaceutique devient très importante pour les soins de santé futurs. Dans la phase de recherche, la technologie de l’imec peut aider à mieux comprendre les processus à l’œuvre dans l’organisme, afin de développer des thérapies plus ciblées. Nous pouvons également fournir la technologie pour les procédés de fabrication de ces nouvelles thérapies. Ces procédés reposent de plus en plus sur la technologie et les données. Les thérapies cellulaires ou les vaccins à ARN messager nécessitent une technologie très puissante. Par exemple, il faut identifier très précisément un type de cellule spécifique parmi des millions de cellules, l’isoler, la manipuler puis l’administrer au patient. L’aspect ‘données’ gagne également en importance. Toutes ces nouvelles technologies génèrent un afflux considérable de données qu’il faut compiler et convertir en informations exploitables, ce qui nécessite à son tour de nouvelles technologies. Dans le secteur des soins de santé, les données sont encore souvent cloisonnées; tout le monde les garde jalousement pour lui. Dans la phase de recherche, on touche à la question très sensible des données d’entreprise, à savoir la connaissance détenue par les entreprises et les chercheurs, la propriété intellectuelle. Plus loin dans la chaîne intervient la question sensible du respect de la vie privée lorsqu’il s’agit de données de santé des individus. La concentration de toutes ces données dans une même chaîne permettrait de générer des connaissances qui sauvent des vies.’

Si la technologie gagne du terrain dans les soins de santé, qu’advient-il de la position du médecin?

‘La boîte à outils du médecin s’étoffe; on ajoute une nouvelle dimension. La technologie qui permet de visualiser le cerveau à très haute résolution, par exemple, pourrait déboucher sur de nouvelles connaissances et détecter les maladies à un stade plus précoce. Le décryptage du génome, par exemple, a également conduit à des avancées majeures dans le domaine des soins de santé. L’imec a développé une technologie capable de convertir rapidement et à moindre coût les données génomiques en informations utiles pour les médecins. Nous associons très activement les médecins à de nombreux projets en lien avec la santé. Ils sont indispensables parce qu’ils ont accès aux patients et qu’ils connaissent les pathologies et le contexte des patients.’

Quelle est la renommée de l’imec dans le secteur des puces?

‘L’imec est un des leaders mondiaux dans la recherche et le développement de la technologie avancée des puces. De nombreuses entreprises, notamment de la Silicon Valley, s’adressent à nous pour leurs recherches sur les puces. Nous travaillons avec de nombreux acteurs majeurs du secteur des puces. Nous les aidons également à mettre au point leurs processus et leurs appareils. Et le test d’une grande partie de l’infrastructure nécessaire à la nouvelle technologie des puces pour les dix prochaines années est effectué dans notre salle blanche à Louvain. Nous sommes uniques au monde à cet égard. La salle blanche et les cerveaux, c’est-à-dire les ressources humaines, sont nos deux grandes forces. L’imec, ce sont 5.000 personnes qui travaillent dans le monde entier (une centaine de nationalités), qui détiennent des connaissances hors pair et approfondies et qui sont passionnées. Attirer ces profils est bien sûr un défi, mais la Belgique occupe une position unique. Nous disposons d’un écosystème riche constitué de firmes pharmaceutiques ainsi que de centres de recherche de premier plan tels que l’imec en nano-électronique ou le VIB en biotechnologie. Si nous unissons nos forces et renforçons encore plus l’écosystème, notre attrait ne fera que croître. Dans le domaine des soins de santé, cela pourrait conduire à une haute disponibilité des nouvelles thérapies à l’avenir et à un renforcement de la position concurrentielle de la Belgique en matière d’emploi, grâce à son vivier de talents inégalé et à ses entreprises pionnières qui proposent une toute nouvelle approche sur le marché. L’imec peut apporter une contribution majeure à cet égard. Telle est notre ambition.’

Spin-offs de l’imec

Bon nombre de spin-offs développent des applications médicales en s’aidant de la technologie de l’imec.

Quelques exemples

  • Pulsify Medical développe un patch intelligent capable de surveiller le fonctionnement du cœur et d’autres fonctions vitales grâce à des ultrasons.
  • miDiagnostics commercialise un test PCR rapide permettant de détecter les infections au coronavirus en implantant des particules virales sur une puce.
  • Indigo Diabetes met au point un capteur sous-cutané mesurant en continu et avec précision le taux de glycémie de patients diabétiques, ce qui leur évite de devoir se piquer.
  • Spectricity travaille sur une caméra hyperspectrale qui peut être intégrée à un smartphone et utilisée pour déterminer la quantité d’oxygène dans le sang, mesurer la fréquence cardiaque ou vérifier la fraîcheur des aliments.
  • Morrow vend des lunettes multifocales électroniques équipées de verres capables de s’adapter à l’environnement et de permettre la vue de près et de loin.
  • Azalea Vision met au point des lentilles de contact intelligentes qui filtrent la lumière à destination des personnes qui souffrent d’affections oculaires ou dont l’iris est endommagé
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