Interview Annie Vereecken
Des entrepreneurs passionnés d'art, chacun à leur manière
Annie Vereecken est toujours en pleine vidéoconférence aux Koolputten à Waasmunster. Pourtant, elle me salue déjà chaleureusement, assise derrière son ordinateur. Dans son emploi du temps chargé, elle a trouvé le temps de nous parler de sa passion pour l'art.
Cette entrepreneuse influente en biotechnologie est particulièrement fière de la concession de 99 ans qu'elle a obtenue pour ce site dont les racines sont profondément ancrées dans l'histoire de sa famille. Sur le quai près de la Durme, les péniches à charbon venaient charger et décharger ici il y a plus de cent ans. C'était un site d’ancrage animé, mais aussi un repaire familier pour ceux qui cherchaient endroit où se reposer.
Dès les années 1980, le quai de déchargement et la maison principale étaient tombés en ruine. Leur démolition complète en 2007 était inévitable. « Je vais les reconstruire », promit Annie Vereecken à ses amis comme à ses ennemis, à ses admirateurs comme à ses détracteurs, et c'est ce qu’elle a fait.
Quand avez-vous su qu'un Forum des Arts conviendrait à ce site historique?
« Lorsque nous avons acquis la concession en 2012, les artistes locaux nourrissaient déjà l’espoir secret qu'il y aurait une salle d'exposition. Freddy Huylenbroeck, qui, à l’époque, avait déjà pris l’initiative de nombreux projets artistiques, est parvenu rapidement à enthousiasmer une armée bénévole de ses semblables pour développer une maison des arts.
Un projet comprenant un forum d'art, un B&B et un restaurant a pu renaître des cendres de la maison des débardeurs de charbon, transformant une fois de plus ce site historique en un lieu de rencontre animé pour les cyclistes, les promeneurs et les amateurs d'art.
Dans le vaste Forum des Arts, nous pouvons réunir des œuvres d'art provenant de collections tant privées que publiques. Entre-temps, nous avons également créé un Cercle d'Amis qui compte de nombreux membres. À chaque réunion du Forum des Arts, j'accueille personnellement les invités. »
De quelle manière l'art s’est-il fait une place dans votre vie?

« Dans ma jeunesse, l'art ne se découvrait en général que pendant les humanités. À cette époque, les familles n'avaient pas beaucoup l’œil ni l'argent pour acheter des œuvres d'art. Mon intérêt n'est apparu que plus tard, principalement pour les peintures de la fin du XIXe - début du XXe siècle.
J'essaie toujours d'élargir mon horizon. Après tout, il faut apprendre à voir l'art. Par exemple, j'ai beaucoup apprécié l'exposition consacrée à Jef Verheyen au KMSKA. Cela m'a même incité à acheter un tableau de Cel Overberghe, l'un des plus jeunes membres du groupe G58 auquel appartenait aussi Verheyen. »
Comment votre expérience entrepreneuriale a-t-elle influencé le Forum des Arts?
« Je me suis lancée dans les affaires comme un artiste commence une œuvre, sans savoir où cela me mènerait. Un beau jour, vous obtenez un diplôme et le monde s’ouvre à vous. Cela me fait penser à un artiste qui se tient devant une toile blanche, des idées plein la tête, et qui, à partir de rien, peut créer une œuvre. Tout comme je peux, à juste titre, apprécier mon parcours d'entrepreneuse, l'achat d'une belle œuvre d'art m’apporte aussi beaucoup de satisfaction. Et plus encore lorsque c’est moi qui ai accompli toutes les démarches pour en faire l’acquisition.
Souvent, le chemin de la réussite ne passe pas par les sentiers battus. Il est chaotique et suppose de tomber et se relever souvent. De même qu'un artiste détruit plusieurs fois une œuvre parce qu'elle ne répond pas à ses attentes, un entrepreneur, lui aussi, devra souvent recommencer. Tous deux doivent posséder une solide dose de persévérance.
Comme dans toute entreprise, nous nous retroussons les manches. Chaque année, nous organisons quatre expositions autour d'un thème central, réunissant des œuvres de différentes collections. Il s'agit d'une initiative entièrement privée qui, d'une part, nous donne une grande liberté pour offrir des opportunités aux artistes qui ne travaillent pas avec une galerie, mais qui, d'autre part, exige des efforts très personnels. De l’enlèvement à la restitution des œuvres, nous le faisons en régie propre avec notre propre logistique. Heureusement, nous pouvons aussi compter sur un solide réseau de bénévoles enthousiastes et d'amis généreux qui sont prêts à nous prêter des œuvres. »
Dans quelles œuvres d'art voyez-vous un lien entre l'art et la science?
« Forte de ma formation scientifique, je m'intéresse naturellement à cette « fertilisation croisée».
Un exemple très médiatisé est le Cosmopolitan Chicken Project de Koen Vanmechelen. Son idée était de croiser le poulet rustique avec différentes races de poulets. Cela a donné naissance à l’asbl The Walking Egg avec le « Walking Egg » conçu par Vanmechelen comme enseigne. Le célèbre œuf transparent à pattes de poulet a entamé une conquête mondiale sur le thème de la « fertilisation in vitro ». Les œufs en verre de Koen Vanmechelen sont accrochés à la fois au Forum des Arts et au B&B, ils sont de véritables « egg-catchers ».
Ils symbolisent le follicule de l'ovule. L’œuvre intitulée ICSI, injection intracytoplasmique de sperme, trône également dans le B&B. »
Quel rêve aimeriez-vous encore réaliser avec le Forum des Arts?
« Il y a quelques années, lors d'une visite à la Dulwich Picture Gallery à Londres, j'ai été absolument impressionnée par les œuvres d’Harald Sohlberg (1869-1935). Pour la peinture, il est à juste titre la fierté nationale de la Norvège. Sohlberg a peint une nature époustouflante à toute heure du jour et de la nuit. Sachant que la Norvège est plongée dans l'obscurité pendant près de la moitié de l'année, ce que Sohlberg a pu peindre « en plein air » est absolument admirable. Une exposition de son œuvre se trouve certainement sur ma liste de souhaits.
Les entrepreneurs doivent oser rêver, tout comme les artistes espèrent la création de leur ultime chef-d'œuvre.
Annie Vereecken
