Chocolat: un investissement au goût doux-amer

Nous venonscde fêter Pâques, l’occasion dans de nombreuses régions du monde d’organiser la traditionnelle chasse aux œufs en chocolat. Mais peut-être en aura-t-on caché moins que d’habitude cette année? Car ils ont beau être délicieux, ils ne sont plus bon marché. Les prix du cacao ont en effet grimpé en flèche ces derniers mois. Quel impact sur votre portefeuille? À la caisse? Et pour l’investisseur?

Le chocolat est et reste populaire. Même à des prix plus élevés. Tout comme Willy Wonka percevait la magie du chocolat, les investisseurs entrevoient les opportunités de ce marché en croissance.

Dea Shehu, Thematic Portfolio Manager KBC Asset Management


 

Le prix du cacao a atteint un niveau sans précédent

Les spécialistes des matières premières ont ouvert de grands yeux ces dernières semaines. Le prix des fèves de cacao, principale matière première du chocolat, a dépassé pour la première fois les 10 000 dollars la tonne. ‘Ce niveau de prix élevé était encore considéré comme impensable il y a quelques mois’, déclare Dea Shehu, Thematic Portfolio Manager chez KBC Asset Management. ‘Le marché à terme de New York affiche un nouveau record. Le prix du cacao a doublé en seulement trois mois.’

Les conditions météorologiques sont un facteur déterminant, mais des problèmes structurels sont aussi à l'origine de la flambée des prix du cacao.

Dea Shehu, Thematic Portfolio Manager KBC Asset Management

Une offre sous pression

L'Afrique de l'Ouest, avec la Côte d'Ivoire et le Ghana, domine la production mondiale de cacao. Pas moins de 80% de la production totale provient de cette région. Des pluies abondantes se sont abattues sur l'Afrique de l'Ouest l'été dernier, provoquant de graves inondations. En endommageant les cacaoyers, celles-ci ont favorisé le développement de maladies fongiques et la pourriture des cabosses. ‘En Côte d'Ivoire et au Ghana, les arbres ont été infectés par le virus de l'œdème des pousses du cacaoyer (le CSSV ou Cacao swollen-shoot virus)’, précise Dea Shehu. ‘Lorsque l'arbre contracte un tel virus, il ne produit que la moitié de son rendement habituel. Cette année, la demande devrait dépasser l'offre de quelque 400 000 tonnes. Il s'agit là du plus grand déséquilibre du marché depuis longtemps.’

Les phénomènes météorologiques liés au climat, comme El Niño, par exemple, pourraient s'intensifier dans les années à venir, et leur impact pourrait être durable. Le réchauffement climatique laisse un arrière-goût amer dans l'industrie du cacao.

‘Un problème structurel se pose également’, ajoute Dea Shehu. Les producteurs de cacao sont généralement de petits agriculteurs. Ils possèdent peu de terres et n'ont souvent pas les connaissances suffisantes sur le produit qu'ils cultivent. La
plupart d’entre eux, contrairement aux producteurs d'autres cultures, n'ont encore jamais goûté le produit final, en l'occurrence le chocolat. ‘Les plantations de cacao leur rapportent de moins en moins. Le prix payé par les consommateurs contraste fortement avec les conditions de travail des cacaoculteurs. Les exploitations sont souvent petites et le niveau de pauvreté y est élevé. Malgré les efforts de promotion du chocolat équitable, les investissements dans les nouvelles plantations se font de plus en plus rares,
malgré leur nécessité.’

‘Je tiens également à signaler le fameux règlement contre la déforestation qui entrera en vigueur en Europe à partir de 2025 et qui impose aux fabricants de cartographier l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, depuis l’exploitation jusqu’au chocolat’, ajoute Dea Shehu. ‘Les producteurs de cacao vont se trouver confrontés à des problèmes supplémentaires car, comme nous l'avons dit, les exploitations sont très petites et les irrégularités sont légion dans l’industrie du cacao, tant du côté des producteurs que du côté des gouvernements d'Afrique de l'Ouest.’

Le chocolat plaît. La plupart des consommateurs ne sont pas près à renoncer à leur tablette parce qu’elle leur coûtera un peu plus cher.

Dea Shehu, Thematic Portfolio Manager KBC Asset Management

Bien que les fabricants de chocolat se couvrent généralement contre des conditions météorologiques potentiellement difficiles, et donc contre de moins bonnes récoltes, ces couvertures vont rarement au-delà d’un an. En général, les fabricants ont des stocks de cacao pour environ 5 mois. Actuellement, les prix à terme ont atteint des niveaux extrêmes. ‘Aujourd'hui, 80% de spéculateurs et 20% de hedgers se disputent  le marché à terme du cacao. La hausse extrême de ces dernières semaines a été largement alimentée par la spéculation, qui a mis le turbo sur les prix. Une fois que cet effet sera retombé, le marché pourra se calmer’, ajoute Dea Shehu. ‘Le prix actuel du marché est tout sauf réaliste, malgré les défis auxquels est confrontée la culture du cacao.’

Douceur ou produit de luxe?

L'Européen moyen mange près de 5 kilos de chocolat par an. Et tandis que l'offre diminue, la demande ne cesse d'augmenter. ‘En Occident, le chocolat a toujours été populaire. L'accroissement de la prospérité mondiale le rend également accessible au plus grand nombre. L’histoire du chocolat a d’abord été européenne avant de faire fondre l’Amérique. Le chocolat est moins connu dans la plupart des pays d'Asie et d'Afrique, ce qui ouvre une marge de progression. Il est également utilisé dans un nombre croissant de produits, tels que les biscuits, les crèmes glacées ou les confiseries. Nous sommes nombreux, toutes classes sociales confondues, à avoir une tablette de chocolat dans nos placards’, affirme Dea Shehu.

 

Les géants de l'alimentation ou les producteurs de chocolat, comme par exemple Nestlé, Mondelez International ou Lindt, jouissent d'une solide réputation dans le monde entier, ce qui leur permet de conserver leur pouvoir de fixation des prix.

Dea Shehu, Thematic Portfolio Manager KBC Asset Management


 

Lorsque les prix des matières premières augmentent, les entreprises ont plusieurs options pour y faire face. Elles peuvent accroître l'efficacité de la production ou opter pour des emballages moins chers ou plus petits. Elles peuvent également modifier le produit, par exemple, en remplaçant certains ingrédients solides du cacao par de la poudre de cacao (un ingrédient de moindre qualité), ou en remplaçant le beurre de cacao par du lait ou d'autres huiles végétales. Elles peuvent aussi augmenter le pourcentage d'autres ingrédients, tels que les noix. Dans les biscuits, elles peuvent très bien utiliser moins de pépites de cacao. Les possibilités sont infinies. ‘Ou bien elles peuvent répercuter la hausse des prix sur les consommateurs’, explique Dea Shehu. ‘Bien que les consommateurs n'en ressentent pas encore pleinement l'impact, la hausse des coûts du cacao sera inévitablement répercutée cette année et l'an prochain. Il faut généralement 6 à 12 mois pour qu’elle atteigne le consommateur. Mais je doute fort qu'un prix plus élevé réduise la demande de chocolat.’ Quoi qu'il en soit, ce sont les petits fabricants, généralement non cotés en Bourse, qui seront les plus durement touchés. Ceux qui ont moins de marge de manœuvre pour s'adapter.

La quête d’une plus grande indépendance stratégique.

De plus en plus d'entreprises chocolatières prennent des mesures pour faire face à l'exiguïté de l'offre. Une collaboration plus étroite avec les producteurs locaux et la diversification des régions d'approvisionnement peuvent réduire la vulnérabilité des chaînes d'approvisionnement. Les pratiques agricoles durables, dans l’optique d'un approvisionnement régulier à long terme, sont encouragées plus activement. ‘Cela peut passer par exemple par la formation des agriculteurs à l'adoption de pratiques respectueuses de l'environnement ou des initiatives visant à améliorer les moyens de subsistance des cultivateurs locaux’, précise Dea Shehu. ‘Une chaîne d'approvisionnement plus efficace est également essentielle. L’optimisation de la logistique, du transport et du stockage peuvent y contribuer.’ Certains fabricants cherchent même des alternatives au cacao. ‘Mais pour l'instant, les développements dans ce domaine n'en sont qu'à leurs balbutiements’, précise Dea Shehu.

L'amour des investisseurs passe aussi par l'estomac

Indépendamment des prix élevés des matières premières, le chocolat reste un thème d’investissement intéressant. Les producteurs de chocolat l’ont compris et ont saisi l'occasion de se différencier et de se prémiumiser, ce qui leur confère un important pouvoir de fixation des prix. ‘Les grands producteurs de chocolat sont très présents sur le marché mondial. Ils ont prouvé qu'ils étaient capables de fournir des produits de haute qualité et de générer des profits’, déclare Dea Shehu.

‘L’éclat du chocolat s’est également étendu à d'autres catégories de produits alimentaires, comme les glaces et les biscuits, entraînant la conception et la mise en œuvre de nouvelles utilisations’, ajoute Dea Shehu. ‘La demande de chocolats végétaliens, biologiques et sans gluten, par exemple, est en constante augmentation. Les producteurs sont trop heureux de pouvoir en profiter.’ La tendance aux variantes luxueuses frappe également. Les quartiers branchés des grandes villes abritent souvent des boutiques de chocolat plus exclusives. ‘C’est un peu comparable à la dégustation de cafés spéciaux’, indique Dea Shehu. ‘Un produit de tous les jours consommé par tous devient exclusif, ce qui rend l'expérience plus spéciale. Et plus l'expérience est spéciale, plus le prix peut être élevé.’

Le chocolat peut parfaitement servir d'investissement à long terme. Au-delà des défis à court terme, les producteurs de chocolat offrent la possibilité d'une croissance structurelle, grâce à l’innovation, à la recherche de la qualité et à un solide pouvoir de fixation des prix.

Dea Shehu, Thematic Portfolio Manager KBC Asset Management


Il existe plusieurs façons d'investir thématiquement dans le chocolat. Comme pour d'autres investissements, le chasseur d’œufs de Pâques en Bourse doit faire ses devoirs. ‘Même dans le monde merveilleux du chocolat de Willy Wonka, une étude approfondie et une diversification suffisante s’imposent’, conclut Dea Shehu. 

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Cet article est purement informatif et ne doit pas être considéré comme un conseil en investissement.